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Festival de Fès, Maroc : Une âme pour la mondialisation ?

Le Festival de Fès avec le soutien de l'Ambassade de France au Maroc

Du 9 au 13 juin s’est tenu le forum “Une âme pour la mondialisation” en lien avec le Festival international des musiques sacrées de Fès, au Maroc. Le forum avait pour objectif d’interroger les sphères politiques et économiques à travers le prisme de la spiritualité. Il s’agissait, selon les termes des organisateurs, de “réenchanter le monde”. Rappelons tout de même que Fès est la capitale spirituelle et culturelle du Maroc et que les islamistes du PJD (Parti de la Justice et du Développement), à la tête du gouvernement élu depuis quelques semaines, mènent une politique de réformes libérales teintées de morale religieuse.

Quelle goutte fait déborder quel vase ?

Véronique Rieffel, Abdou Hafidi, Bariza Khiari, Faouzi Skali

A cette occasion, nous avons retourné la question démocratique – jusque là vue à travers la rue et les mouvements sociaux – pour la poser du point de vue des élites culturelles et économiques du Maroc, expatriées comme “du cru”… le tout en langue française. Deux tables rondes rejoignaient plus particulièrement les réalités politico-sociales auxquelles est confronté le Maroc : “Quel avenir après les Printemps arabes ?” et la question de la “Crise financière ou crise de civilisation ?”.

Les débats ont été ponctués de réflexion de fond mais c’est la constance de la stratégie d’évitement qui a retenue notre attention. On se souviendra par exemple de Tariq Ramadan, professeur à l’université d’Oxford et philosophe, pour sa fine distinction entre les notions d’Etat et de Nation mettant à jour les situations d'”étrangers de l’intérieur” qui se développent en Occident… alors que, dans le contexte, la question semblait porter tout autant sur les rapports entre peuples et états dans les pays arabo-musulmans.  D’autre part, lorsque les invités ont évoqué les Printemps arabes, ils ont volontiers cité la Syrie, la Libye, la Tunisie ou l’Egypte (et même le Printemps érable du Québec), mais il n’a été fait aucune allusion au Printemps Marocain du 20 février. L’ancien président de l’AMDH (Association Marocaine des Droits Humains), Driss El Yazami, s’est même flatté de la liberté d’expression des artistes dans le monde arabe, en particulier des rappeurs, en oubliant de préciser qu’au moins deux d’entre eux sont à ce jour en prison au Maroc. Il faudra attendre une intervention isolée dans la salle pour que le sujet présumé consensuel de l’expression artistique au sein des révolutions soit officiellement remisé. Seul le sujet de la place des femmes dans la société aura finalement traité des réalités de la vie marocaine, publiques comme privées, par les voix de la sénatrice de Paris Bariza Khiari (PS) et de l’ambassadrice itinérante du Maroc Assia Alaoui Bensalah.

Tariq Ramadan et Assia Alaoui Bensalah

“On n’invente rien sans faire l’inventaire”

(Aragon, cité en introduction d’un des forums)

Entre les questionnements et les pistes de réflexion, nous avons pu remarquer une envie d’écrire et de s’approprier l’Histoire. Quand Abdou Hafidi, présentateur sur France 2, décrit l’immolation de Mohammed Bouazizi en Tunisie en décembre 2011, c’est en y lisant parfaitement et par avance l’étincelle de la révolution tunisienne; jusqu’à prêter au désespoir de cet homme l’intention de soulever les foules. Et lorsque les invités abordent la crise financière et économique mondiale, tout le monde est d’accord pour dire qu’il l’avait vue venir. Ce n’est pas qu’ils fassent référence aux émeutes de la faim de 2008 causées par la spéculation sur les matières premières, mais plutôt par l’immoralité et le manque de spiritualité du système actuel. N’oublions pas que l’usure est autant péchée que haram (illicite en islam).

Tariq Ramadan en discussion avec Pierre Laffitte (Sofia Antipolis). Faouzi Skali, Directeur du Festival, en arrière plan

Le politique-ment correct

Sous couvert de spiritualité, les débats du forum ont davantage montré la bienséance des discours et mis en valeur une volonté de préserver les élites du système. Il n’y a qu’à voir le prix de l’entrée, 100 Dh (10 €), une bagatelle pour un Français moyen mais déjà une petite fortune pour beaucoup de Marocains. Réformer, c’est donc intégrer tous les éléments qui pourraient le remettre en cause afin d’en garantir la sécurité… le meilleur de la classe étant le Roi du Maroc qui a récupéré aux yeux de l’opinion publique marocaine et internationale les vagues de contestation contre le despotisme de son régime. Et au forum du Festival de Fès, la classe dominante s’en gargarise et l’épaule comme il convient.

Le politique-ment (par omission) correct reste halal.