souk – L'Archipel des Non-Violences https://archipel.foodpath.eu Confronter nos représentations des non-violences, en particulier sur l'alimentation et l'accès à la terre Tue, 30 Jun 2015 12:41:34 +0000 en-US hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.7.19 Regards vers l’intérieur de la Plaine https://archipel.foodpath.eu/2013/06/30/regards-vers-linterieur-de-la-plaine/ Sun, 30 Jun 2013 19:30:32 +0000 http://archipel.foodpath.eu/?p=580

À l’intérieur de la Plaine du Souss au Maroc, Aziz nous fait visiter la ferme de son oncle. Dans le Douar (village) Essalanhia la “terre” est comme ailleurs en ce début d’été : sèche, aride, pareille à du sable. Tout le système d’irrigation historique est encore en place : un puits de 10 mètres et un bassin et des canalisations en simili-béton parcourent les champs. Avec des jeux de regards, les travailleurs de la terre bouchaient une sortie pour en ouvrir une autre afin d’y guider l’eau. Dans les parcelles, des micro-digues forment des unités de quelques mètres carrés permettant là encore une répartition fine de l’irrigation. Mais ce système n’est plus utilisé. Dans les regards ancestraux les déchets communs partagent le volume avec des restes de tuyau servant au goutte-à-goutte qui a pris le relai. Non loin de la ferme, un moteur de voiture ronronne. Sorti de sa carcasse de R25 d’origine, il est maintenant alimenté au butane … énergie fortement subventionnée par l’État via la caisse de compensation, aujourd’hui largement remise en cause par le gouvernement islamique aux manettes. Une longue courroie fait tourner la pompe plongée dans son puits de plus de 100m de profondeur, seul maintenant en mesure de fournir l’eau nécessaire à la vie. Le bassin est passé de 5m2 à 25m2 et les canalisations historiques ont été remplacées par de longs tuyaux courant sur le sol et aboutissant dans les goutte-à-goutte quadrillant les champs.

La vie d’une ferme dans le Souss

Dans la ferme de l’oncle de Aziz on y cultive de la pomme de terre et des courges pour les souks locaux (3 par semaines à Sidi Bibi, Aït Amira et Inezgane) ainsi que du maïs ensilage et de la luzerne pour les bêtes. Sur les 3Ha cultivés, 9 vaches à lait cohabitent, les mêmes Prim’Holstein que l’on reconnaît facilement dans nos campagnes européennes par leur taille et leur robe tachetée blanche et noire. Il n’a pas assez plu cette année. Le niveau du puits a encore baissé. Les vaches restent donc dans leur enclos faute d’herbe à brouter. Certaines y semblent particulièrement en difficulté. Malgré les deux à trois campagnes de maïs par an, l’aliment produit sur la ferme manque et chaque sac coûte cher pour subvenir à leurs besoins…sans compter la classique carence en protéines liée au maïs ensilage qu’il faut combler par l’achat onéreux de compléments à base de soja (de provenance inconnue) lorsque la luzerne gourmande en eau ne suffit plus. La petite trayeuse permet quand même la production d’une centaine de litres de lait par jour, vendus 4 Dh (40c€) le litre hors transport. Sur la ferme, la vie semble rustique mais très correcte. La maison est bien habitée (salle de bain, salon marocain bien fourni, quelques chambres à coucher, et régulièrement un peu de viande au menu). Seule la question de l’eau semble réellement inquiétante sur les terres de l’oncle de Aziz. Le puits baisse chaque année… et les productions de la ferme en sont incroyablement dépendantes et particulièrement gourmandes sur cette terre aride, si ce n’est désertique.

La spiruline Berbère

Quelques centaines de mètres plus loin vers le Nord, Thomas Dussert Vidalet produit de la spiruline, cette algue bleue-verte très riche en protéines (7 fois plus que la viande), en vitamines et oligo-éléments. Elle est cultivée dans des bassins d’eau saline, brassée en permanence elle demande une attention de chaque instant. La ferme dispose d’un laboratoire très bien équipé, d’une unité de séchage et ensachage. Elle permet à cinq personnes d’y travailler en permanence. Ici aussi l’ancien puits d’une dizaine de mètres est à sec, remplacé par un profond forage et deux citernes – châteaux d’eau. Et ici aussi la diminution de la ressource inquiète. Pour autant l’activité économique y est florissante, les employés du village y sont plutôt bien lotis. Thomas écoule la production de la ferme principalement en France, mais arrive à trouver des débouchés localement : 10% vendus dans les souks locaux sous la dénomination de “Spiruline Berbère” et 1% est donné à deux orphelinats locaux. Entre voisins, on recherche l’entre-aide : la spiruline invendable pour la consommation humaine est donnée aux animaux du douar (village) et Aziz promet de revenir en prendre pour les vaches de son oncle : il paraît que les résultats sur la production laitière sont incroyables !

Abdou, le paysan-entrepreneur

Dans la ferme suivante, encore un peu plus au nord, Abdou (un ami de l’oncle de Aziz) cultive des légumes en plein champ. C’est les deux pieds nus dans la terre de son champ de patates, aux côtés de ses ouvriers, qu’il essaie de régler un problème avec son irrigation au goutte-à-goutte : les tubercules pincent les tuyaux dans leur trop forte croissance. Voilà des années qu’il économise Dirham par Dirham, patiemment et intelligemment, pour pouvoir construire sur ses terres deux serres de 1,2Ha chacune. Ses économies, de l’entre-aide et un peu de débrouille ont été suffisantes. Les deux serres sont presque prêtes. Le démarrage de la production de tomates est prévue pour la prochaine quinzaine. Un système d’irrigation-fertilisation ultra-perfectionné est en place. Installé par une entreprise spécialisée et 100% subventionnée par l’État Marocain, il est totalement informatisé : rien ne semble laissé au hasard. Pourtant Abdou ne lit et n’écrit presque pas, et avoue n’avoir jamais touché à un ordinateur. Là encore tout est pensé : il doit suivre une formation spécialisée avant la mise en marche du système. Dans ses serres, c’est 4 à 5 ouvriers qui sont prévus pour y travailler à l’année, sous contrat oral informel, et un gros renfort est prévu (en provenance de Belli Melal, une campagne déshéritée entre Fès et Marrakech) pour les récoltes. Dans sa ferme, les légumes très gourmands en eau qui y poussent doivent aller la chercher entre 60 et 100m de profondeur. À quelques kilomètres de là, il faut descendre encore au-delà de 150m… Un sursis pour Abdou.

L’instituteur Amazigh

Au détour d’une serre, Ali, un instituteur militant Amazigh (Berbère), décrit un peu sa vision de la Plaine du Souss : problèmes de scolarisation et analphabétisme chronique, vagues de migrations intenses depuis le Nord du pays, criminalité… et gros danger à l’horizon quant à l’accès à l’eau ! Pour lui il s’agit d’un lobby de familles “Fassi” via les sociétés agricoles qui pose tous ces problèmes dans la région… La mondialisation galopante et le libéralisme effréné semblent, selon lui, avoir bel et bien mis le Souss et ses habitants sous le couperet de la pénurie en eau. En attendant, la sueur des travailleurs de la terre continue d’attiser la soif de la région.

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Halal ou haram, tri culturel entre tradition et progressisme https://archipel.foodpath.eu/2012/06/23/halal-ou-haram-tri-culturel-entre-tradition-et-progressisme/ Sat, 23 Jun 2012 12:31:42 +0000 http://archipel.foodpath.eu/?p=605

Dans un pays où l’effigie de la Vache qui Rit fait de la concurrence à la typographie arabisée de Coca Cola et où aller manger à Mc Donald’s est un signe extérieur de richesse, de valorisation sociale, il est difficile d’imaginer ce à quoi ressemblerait la démocratie “à la marocaine”… Si l’on s’entend sur le fait qu’une démocratie est un fonctionnement politique dans lequel les orientations et les décisions qui en découlent appartiennent au peuple, quels pourraient donc être les choix de ce peuple qui regarde vers l’Occident économiquement et vers l’Orient culturellement ? Et si l’on considère que, plus que jamais au cours de son Histoire, la démocratie est aux portes du Maroc, de quelle démocratie les citoyens de ce pays veulent-ils ? Quels sont les rêves et les modes de vie des jeunes, dont les moins de 27 ans composent la moitié de la population ?

Manifestation du 20 Février le 24 juin 2012 à Rabat

Entre nostalgie des tajines et boulimie de pizzas à grignoter devant la télé écran plat, entre conservatisme enraciné et progressisme affiché, le cœur des jeunes Marocains rencontrés à Casablanca balance. La tradition, dont les jeunes actifs aimeraient, selon leurs dires, des fois bien se passer pour réaliser leurs rêves « à l’occidentale », est bien présente. A la fois repère culturel et poids institutionnel, la tradition est à l’image de ce nouveau gouvernement islamique « élu démocratiquement » (d’après des sources informelles, par 20% de la population s’étant déplacée dans les urnes) qui jongle avec plus ou moins de succès entre renforcement de l’identité musulmane et développement libéral, entre retour à des valeurs rassurantes par rapport au contexte post-révolution et volonté de grandeur dans la cour des “grands” de la mondialisation.

L'entrée fermée du Palais Royal de Fès

L’ambiguïté politique est à l’image de ces jeunes couples qui se tiennent par la main dans la rue, la femme a les cheveux à l’air et une tenue décontractée, mais qui sont mariés pour pouvoir le faire. A l’image aussi du poids des familles sur le quotidien de ces jeunes, à la fois soutien dans un pays en crise où les jeunes ont des difficultés à acquérir leur indépendance financière ; mais aussi pression dans le lobbying qu’ils exercent sur les choix de vie de leurs enfants. Choix d’études, du partenaire de vie ou du lieu d’habitation passent par la bénédiction plus ou moins tacite de cette famille « toujours là pour ses enfants ». A l’image enfin de ce Roi dont on a essayé de renverser le pouvoir sans renverser la fonction. Ce Roi auquel on tient, qui fait consensus, à tel point que peu de Marocains, même les plus révolutionnaires d’entre eux, n’imaginent un changement de régime vers une république [1]. Ce Roi qui vole son peuple, ce Roi au-dessus des lois, ce Roi qui a le dernier mot sur les décisions politiques prises par le gouvernement et qui blasphème les principes du Coran [2] ; ce Roi est aux yeux des Marocains le garant de la pérennité du pays. Qu’on ait peur de l’islamisation radicale ou qu’on veuille une monarchie parlementaire, les raisons sont nombreuses pour le plébisciter mais elles aboutissent toutes au même constat : pas de Maroc sans son Roi.

Ce balancement ressemble même parfois davantage à de la schizophrénie : comment lutter contre le clientélisme et la corruption, à plus grande échelle contre le système, lorsque l’on accepte de manger des tomates d’Agadir ? Ces tomates qui sont le symbole de la relation néocolonialiste entre le Maroc et l’Europe du fait que les souks ne sont approvisionnés que par les rebuts de production. Ils achètent au marché des tomates « made in maroc » qui n’ont pas le goût de leur terre et qui, comble du comble pour un pays méditerranéen, ne sont même pas mûres. Comment lutter contre le système qui enrichit le Roi et sa holding lorsqu’on achète une bouteille de Coca tous les jours ? Comment lutter contre la corruption lorsqu’on consomme des produits tout droit sortis du marché de gros, qui sont passés par toute une série d’intermédiaires ?

Que de questions que soulève notre séjour marocain, des questions que nous posons sans donner de réponse. Tout comme au souk lorsque nous faisons nos courses, nous regardons partout autour de nous. Nous nous amusons de reconnaître les fruits et légumes que l’on connaît comme nous nous amusons de retrouver les fonctionnements de groupes dans les réunions politiques auxquelles nous assistons. Nous nous arrêtons aux étals pour poser des questions dès que nous tombons sur une herbe, une épice inconnue ou un « objet non identifiable », dès que, lors d’une discussion militante, nous sentons que nous manquons d’informations, que nous ne maîtrisons pas tous les tenants et les aboutissants de la situation. Qu’on nous donne des conseils de cuisine ou qu’on nous raconte l’histoire du Maroc, qu’on nous vende des produits miracles ou qu’on tente de nous faire croire à la linéarité des événements, notre présence suscite à chaque fois la curiosité. Curiosité sympathique lorsque nous faisons la cuisine en pleine rue, à même le sol ou lorsque nous partageons des anecdotes militantes, curiosité mêlée de méfiance dès que nous franchissons les portes des zones touristiques, ou celles des conseils perçus comme du paternalisme, les unes comme les autres tout aussi invisibles, à l’image des impairs culturels.

Manifestation du 20 Février le 24 juin 2012 à Rabat

Difficile de se placer dans cet espace en transition, difficile de dissocier le politique du culturel, tout autant sûrement que de dissocier le politique de l’économie tel que le revendique le mouvement du 20 Février. Aussi difficile que de manger un couscous un autre jour que le vendredi ou de trouver des tomates “beldi” (paysannes)…

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Du souk à l’OMC https://archipel.foodpath.eu/2012/06/06/du-souk-a-lomc/ Wed, 06 Jun 2012 18:09:31 +0000 http://archipel.foodpath.eu/?p=476

Tanger. Port de pêche. L’Europe est à l’horizon juste derrière la brume. Fin de journée en mer pour les pêcheurs mais la journée est loin d’être finie : réparation des filets, préparation des hameçons. Les pêcheurs s’affairent sur le quai. Il suffit que nous nous intéressions aux poissons dans une vieille caisse en bois pour que la discussion s’engage, en français, en arabe, en allemand ou avec les mains… Une petite discussion informelle met l’émulation : un petit attroupement se forme, écoute des deux oreilles, et sourit de la situation. Petit cours de biologie marine improvisée : rougets, pageots, merlans, la mer est riche ici, tellement riche que les poissons se jètent dans les filets pour le plus grand bonheur des pêcheurs.

Rabat. Souk alimentaire en pleine effervescence, malgré que les étals soient encore en cours d’installation. Chacun est libre de regarder, de toucher, de poser des questions, de poser des questions, d’être curieux de l’autre dans ses habitudes de cuisinier. Ici, en face des produits frais, les prix sont francs, les regards aussi. Ici nous sommes tous faits des mêmes besoins, dont celui de se nourrir, et des mêmes envies : bien manger. Ici on nous fait goûter une herbe, là on nous fait sentir une épice, là encore on nous explique comment broyer une céréale inconnue pour agrémenter une soupe.

Asilah. Dans une ruelle déserte, face à la mer derrière la médina fortifiée. Il est 16h. Un tagine à l’européenne cuit sur un réchaud en aluminium devant les regards amusés des passants. Echanges de regards complices avec les femmes : entre cuisiniers on se comprend. A ce moment, les barrières tombent, ce qui nous sépare les uns des autres s’évapore dans la fumée du tagine.

Au Maroc, c’est bien connu tout se négocie : c’est comme un jeu, un élément de cohésion sociale, un héritage de cette civilisation bâtie sur des échanges commerciaux. On a tous en tête les images des caravanes qui traversent le Sahara et de celles qui ont ouvert la route de la soie. D’ailleurs ce n’est peut-être pas un hasard si l’Organisation Mondiale du Commerce a vu le jour en 1994 avec les accords de Marrakech. Hors c’est cette même OMC qui a dérégulé le marché agricole mondial menant aux émeutes de la faim de 2008 dans les pays les plus fragiles. La spéculation sur tout et n’importe quoi a amené ces bureaucrates à jouer avec le prix de la farine ou d’autres denrées alimentaires de première nécessité. Mais quand l’OMC joue aux colons de Catane ce sont des populations entières qui meurent de faim dans le monde réel (1 milliard de personnes souffrent à ce jour de la famine selon l’Organisation Mondiale de la Santé).

Sur les toits, Rabat

Comme on le disait, au Maroc tout se négocie… mais pas la nourriture1. Le jeu s’arrête donc là où les besoins vitaux commencent et c’est justement sur ceci que l’on partage le mieux, que l’on commence à faire société et que l’on en garantit la longévité.

C’est si vrai que le Gouvernement Marocain met actuellement en place un système de régulation en particulier des prix du blé (source: Le Matin, du 5 juin 2012, Maroc).

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